La question du poids est-elle saine chez les cyclistes amateurs ? Quels sont les points communs entre le VTT et le vélo de route ? Les cyclistes devraient-ils parfois s’entraîner sans capteur de puissance ? Pourquoi les cyclistes professionnels devraient-ils être les seuls à répondre aux grandes questions de leur sport ? Chaque mois, nous discutons avec des coureurs du monde entier pour recueillir leurs réponses d’experts sur les sujets qui font l’actualité du monde cycliste.
Auteur : Ashleigh Maxwell
“Comme je le dis souvent : une guitare a plusieurs cordes mais beaucoup de personnes ne joueront qu’un seul et même air toute leur vie. Ce n’est pas ce que je veux faire”. Les jeunes années de Tiago Carrasco ont été rythmées par les courses de cross country au niveau national au Portugal. A l’adolescence, ne trouvant plus de plaisir dans ce sport et déterminé à tracer son propre chemin, le jeune talent décide d’arrêter le VTT et s’éloigne du cyclisme pendant 10 ans. Ce n’est qu’en 2016 que Tiago redécouvre le cyclisme via le vélo de route pour ne plus jamais s’arrêter. Au départ des Gran Fondos aux quatre coins de l’Europe, il construit toute sa vie autour de ses objectifs cyclistes et s’installe à Majorque. Passionné, sans langue de bois et riche de son expérience, Tiago est le coureur idéal pour répondre aux grandes questions du monde cycliste.
"Pour moi ça montre bien qu’en fait mon coach n’avait aucune espèce d’idée de ce que je devais faire"
Y a-t-il des compétences communes au VTT et au vélo de route ?
Grâce au vélo de route je suis plus puissant en VTT mais les sensations sont très différentes. A mon époque, on roulait avec des roues 26’’, maintenant tout le monde a des 29’’ et les vélos ressemblent à des tracteurs. Sur le vélo je n’ai pas les mêmes sensations qu’avant. Notre posture sur le VTT était presque la même que sur un vélo de route. Maintenant on roule avec les bras ouverts, j’ai l’impression d’être en permanence en train de faire un câlin à un arbre.
Comment a évolué ton entraînement depuis tes années de compétition ?
Je participais aux compétitions nationales et le vainqueur du championnat de cyclo-cross portuguais faisait partie de l’équipe alors j’étais très bien entouré. Mais l’accès à plus d’informations via internet a vraiment changé la donne en termes d’entraînement. C’est pour cette raison qu’on voit maintenant des jeunes comme Pogačar gagner le Tour de France. Quand je faisais de la compétition, on nous disait juste “fais des kilomètres, peaufine ta technique”. Mais ce n’est plus d’actualité. Oui on avait des capteurs de fréquence cardiaque mais on ne connaissait rien des intervalles, de la réduction progressive de la charge d’entraînement ou de la nutrition. Les choses changent et on voit bien l’impact que ça a. Par exemple, mon meilleur résultat lors d'une course de niveau national a été un podium et ce jour là mon entraineur m’avait dit d’aller y faire un tour mais que ce ne serait pas ma course parce que je n'étais pas en forme. Pour moi ça montre bien qu’en fait mon coach n’avait aucune espèce d’idée de ce que je devais faire [rires].
"Je pense que le dopage est un sujet plus facile à aborder que le poids."
La question du poids est-elle saine chez les cyclistes amateurs ?
C’est devenu une obsession. D’un point de vue physiologique, on veut augmenter notre rapport puissance/poids alors on commence à surveiller notre alimentation et ça devient vite dangereux. Il y a un vrai problème autour des questions de poids dans le monde du cyclisme et c’est assez tabou. Je pense que le dopage est un sujet plus facile à aborder que le poids. Si je pars à vélo avec un ami, ça peut arriver qu’il me parle d’un gars qui prend tel produit ou de tel autre produit qui est interdit, qu’il blague un peu sur le sujet. En revanche si je dis “ah il me manque encore trois kilos pour atteindre mon poids optimal”, je n’aurais pas de réponse. On est beaucoup plus à l’aise pour parler du dopage. Je pense que les gens sont gênés d’en parler. Je connais des gars qui sont très maigres et qui ne veulent pas parler de poids. Enfin je veux dire tu ressembles à un cure-dent comment veux-tu qu’on ne te parle pas de poids ?
Tu fais du vélo de route, du VTT...du gravel aussi ?
Le gravel c’est juste le VTT des années 90. C’est la même chose. On n’a rien inventé. Les baggys, la grosse barbe, ça me tue de voir des gens rouler avec des lunettes de soleil Ray-Ban...non, c’est pas possible. Pour moi c’est les mêmes gars qui roulaient en ville avec des vélos à pignon fixe il y a quelques années. Ils ressemblent à Où est Charlie. Tous ces gars ont un jour décidé qu’ils voulaient faire du sport alors ils se sont rassemblés pour faire du gravel [rires]. Si je veux rouler en dehors des chemins, je pars faire du VTT, et si à un moment je veux profiter des routes en gravier j’ai juste à bloquer mes suspensions et à y aller. Je ne prendrais pas plus de plaisir à rouler sur un vélo typé route avec moins de suspension. Beaucoup de personnes le font mais ce n’est pas mon truc.
Est-ce que tu préfères utiliser un capteur de puissance ou te fier à tes sensations ?
Nous sommes devenus esclaves de nos capteurs de puissance. Lorsque j’utilise un des mes vélos sans capteur de puissance ça m’agace de ne pas avoir mes stats. J’essaye de me dire “tu peux faire une sortie simple sans artifice, tu ne vas quand même pas t’arrêter, arrête d’être bête”. Une fois que tu t’habitues au capteur de puissance, tu te mets à contrôler ton rythme cardiaque et ça ne s’arrête jamais.
Quelle est la sortie incontournable à Majorque ?
A Majorque je partirais de Port de Sóller et je monterais jusqu’au radar de Puig Major. Avec un peu de chance, si vous négociez avec la base militaire, vous aurez accès au sommet. C’est le point culminant de Majorque mais il n’est accessible qu’une fois par an pour une course de trail. L’ascension de Port de Sóller jusqu’au sommet fait 25 kilomètres. La sortie parfaite. N’importe quel segment Strava ici à Majorque a été parcouru par 100 000 personnes mais moins de 40 personnes ont validé cette ascension. C’est vraiment spécial, c’est un peu le Graal à Majorque.
Pourquoi les femmes sont-elles moins présentes sur les courses de vélo de route ?
C’est quelque chose qui évolue de manière positive. Je ne suis pas d’accord pour dire que les événements réputés pour leur extrême difficulté découragent les cyclistes féminines. Ce n’est pas vrai du tout. On veut voir plus de femmes sur ces courses et je ne pense pas qu’elles doivent s’orienter vers un format plus simple. Je serai vraiment énervé qu’on me dise d’un air complaisant “oh si c’est trop difficile pour toi tu peux faire le parcours plus court”. On devrait plutôt dire à tout le monde sans distinction : vous êtes ici pour repousser vos limites alors venez et allez chercher ces limites.
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